Bhagavad Gita
A la fois livre de sagesse et récit cosmologique, la Bhagavad-Gîta est l'un des principaux textes sacrés de l'Inde.
Ecrit en sanskrit il y a 2500 ans, ce texte présente une vision intemporelle.
Jamais on n’a énoncé avec plus de force l’Unité du principe absolu des choses, essence et point culminant de la pensée indienne. Une vision est exposée qu’on n’a point surpassée, avec une discipline pratique par excellence, unissant les plus nobles affections de la nature humaine à la sagesse du désintéressement.
Texte sacré où le dieu Krisna instruit le prince Arjuna sur le but ultime de la vie dans un dialogue de 700 vers, répartis en 18 chapîtres, la Bhagavad Gîta s'insère dans la gigantesque épopée du Mahabharata.
Si on ne peut séparer la Bhagavad Gîta du contexte de ce récit, elle forme une œuvre indépendante qui peut être lue pour elle-même. C'est ce qui l'a rendue si populaire en Inde, où elle a suscité de nombreux commentaires jusqu'à nos jours (dont les plus fameux: ceux de Cankaracharya, Ramanuja...) et imprégné la pensée de nombreux maîtres jusqu'en Occident.
Elle est condidérée comme étant véritablement l'évangile de l'Hindouisme: un texte sacré ayant le même rang que les Veda et les Upanishad . Ainsi est-elle assimilée à la çruti ('"audition" ou Révélation), tandis que le reste de l'épopée fait seulement partie de la sm®ti ("écho", ou Tradition). Sur la base des notions classiques issues du Samkhya et du Vedanta, la Gîta donne une place prépondérante à la discipline "unitive" du Yoga et pose les fondements du courant dévotionnel de la bhakti.
Le mot "Bhakti"vient de la racine "bhaj", qui signifie: participer, adorer. La "bhakti" est donc la participation à la divinité, au "bhagavant": le Seigneur suprême qui laisse participer le "bhakta", son adorateur, à sa propre divinité. Bien que l'attitude soit très ancienne, ce terme n'apparaît dans les textes que vers le II° ou le III° siècle avant notre ère. On trouve en effet le culte d'Isvara (le Seigneur du Yoga) dans les Upanishad anciennes ( Mundaka, Katha, Svetasvatara).
La bhakti s'est essentiellement développée dans les sectes visnuites - bien qu'il existe également une bhakti shivaïte- comme les Bhagavata, sous la forme du culte de Vasudeva ("Dieu des dieux"), plus tard assimilé à Krisna, notamment dans la Bhagavad Gîta (Vasudeva/Krisna étant considéré comme un avatara de Visnu).
On peut noter que dans certains textes comme le Visnu purana, le Bhagavata purana, le Narada purana, le terme "Bhakti" et le terme "Yoga" sont souvent employés l'un pour l'autre - du fait de leur proximité de sens: "Bhaj" (participation) et "Yuj" (Union) -. La voie qui s'accomplit à travers le renoncement aux fruits de ses propres actes est le suprême Yoga.
Aujourd'hui comme dans les temps anciens, le message spirituel de la Gîta parle toujours à l'âme humaine en proie à la confusion. La discipline de l'Union écarte les deux écueils où elle pourrait se précipiter: le cercle vicieux du désir aveugle et de l'attachement, et l'impasse du fatalisme nihiliste et du désespoir. Elle leur oppose la magnification de l'acte comme l'offrande de tous les instants de la conscience indivuelle au Seigneur intérieur.
La Tradition attribue la composition du Mahabharata au sage Vyasa, fils de Paraçara, qui serait l'aïeul des héros de l'épopée (Vyasa est souvent considéré comme un avatara de Visnu).
Résumé du Mahabharata - Situation de la Bhagavad Gîta
A la mort du roi Pandu, Dhrtarastra, son frère, le roi aveugle et père des 100 Kaurava, assume le pouvoir. Yudhistira, l'ainé des 5 Pandava, est l'héritier du trône. Duryodana, l'ainé des Kaurava fait plusieurs tentatives pour l'éliminer, ainsi que ses frères. A la suite de quoi, Dhrtarastra leur abandonne la moitié du royaume. Ils fondent la ville d'Indraprastha et y vivent avec leur épouse commune, Draupadi, ainsi qu'en compagnie de Krisna. 12 ans plus tard, Yudhisthira accède à la royauté suprême. Mais Duryodhana, qui veut prendre sa place, s'acharne à sa perte. Il le défie au jeu de dés. Yudhisthira perd successivement tous ses biens, son royaume, ses frères, Draupadi, et même sa propre personne.
Les Pandava partent alors pour 12 ans d'exil dans la forêt. La 13ème année, ils se font reconnaître et réclament la restitution du royaume. Les négociations échouent. La guerre se prépare.
La Bhagavad Gîta débute au moment où les deux armées, rangées pour la bataille, s'apprêtent à s'affronter sur le "Champ des Kuru". Le texte se présente comme un dialogue entre le roi Dhratarastra et son sûta* Sanjaya, lequel rapporte le plus fidèlement possible à son maître le récit des évènements ainsi que le dialogue de Krisna et d'Arjuna.
Extraits
"Tout ce monde vivant est sous-tendu par moi
dans mon état non-manifesté.
A la fin d'un éon,
tous les êtres vont à cette mienne nature,
puis, au commencement d'un éon,
je les émets à nouveau.
Maîtrisant ma propre nature cosmique,
j'émets encore et encore tout cet ensemble des êtres, malgré eux et par le pouvoir de ma nature.
C'est par moi, son surveillant,
que la nature enfante l'univers.
Et voilà la raison pour laquelle l'univers existe."
(Chant IX, 4-15)
"Considère que tous les êtres ont cette double nature comme matrice.
Je suis l'origine mais aussi la dissolution de l'univers entier"
(VII, 6)
"Enveloppé de ma magie et de mon pouvoir yogique, je ne suis pas visible à tous. Ce monde égaré ne me reconnait pas comme le Non-né, immuable."
(VII, 25)
"C'est par l'activité des qualités constitutives de la nature qu'en toute occasion les actes s'accomplissent. Mais si elle se laisse égarer par le moi factice, l'âme pense qu'elle en est l'agent. Cependant, celui qui connait la double série des qualités constitutives et des actes se rend compte qu'il s'agit simplement d'une action des qualités sur les qualités; en conséquence il ne s'y attache pas.
Egarés par les qualités de la nature, les hommes ordinaires s'attachent aux activités de ces qualités. Faibles, ils n'ont de la vérité qu'une connaissance parcellaire."
(III, 27,28,29)
"Cette mienne magie, divine et constituée par les "qualités naturelles", est inscrutable. Ceux qui s'abandonnent à moi, ceux-là vont au-delà de cette magie."
(VII, 14)
"Ceux qui, s'appuyant sur moi travaillent à se libérer de la vieillesse et de la mort, ceux-là connaissent le Brahman, le domaine entier du Soi, la totalité de l'agir.
"Ceux qui me connaissent dans le domaine des êtres, dans celui des dieux, et au moment de la mort aussi, ceux-là, l'esprit unifié, me connaissent."
(VII, 29-30)
"Celui qui me voit partout et qui voit le Tout en moi, je ne suis jamais perdu pour lui et il n'est jamais perdu pour moi."
(VI, 30)
"Allons! Je vais maintenant t'exposer mes divines manifestations, en m'en tenant à l'essentiel, ô meilleur des Kuru, car mon expansion est illimitée.
Des créatures je suis le commencement, la fin, et le milieu.
Je suis la mort qui emporte tout, la source des choses à venir.
Je suis le sceptre de ceux qui maîtrisent les peuples, l'art politique des conquérants, le silence des secrets, la connaissance des connaissants.
Et quelle que soit la forme de tout être, je le suis. Il n'est pas d'être, mobile ou immobile, qui existe en dehors de moi."
(X, 19-39)
"Je suis le but, le soutien, le seigneur, le témoin, la demeure, le refuge, l'ami, l'origine, la dissolution, la permanence, le réceptacle, le germe, l'immuable.
C'est moi qui réchauffe, retient, ou laisse aller la pluie; je suis l'immortalité et la mort; c'est moi qui suis l'Etre et le Non-Etre."
(IX, 18-19)
"Jugement, connaissance, savoir exempt d'engagement, patience, vérité, maîtrise de soi, plaisir et douleur, existence et non-existence, crainte et sécurité, non-nuisance, équanimité, contentement, austérité, libéralité, honneur et déshonneur, toutes ces manières d'être, dans leur diversité comme dans leur singularité, viennent de moi.
Quand on connaît réellement cette procession et ce pouvoir yogique qui sont miens, on est unifié par un yoga inébranlable; sur ce point il n'y a pas de doute."
(X, 4-7)
"Je vais maintenant énoncer ce connaissable par la connaissance de quoi on obtient ce qui est immortel: le Brahman sans commencement, suprême; on le dit ni être, ni non-être.
Les propriétés de tous les sens le manifestent, mais il est dépourvu de tout sens, sans attachement, il porte tout et, sans qualité, il expérimente les qualités.
Extérieur et intérieur aux êtres, immobile et mobile, à cause de sa subtilité il est incompréhensible; il est loin et il est tout proche.
Indivisible, il se présente comme divisé entre les êtres. (...)
On le dit lumière des lumières, par-delà les ténèbres; il est la connaissance, l'objet de la connaissance, et le but de la connaissance. Il demeure dans le coeur de chacun en particulier."
(XIII, 12-25)
"Chaque fois qu'il naît un être,
animé ou inanimé,
sache que c'est par l'union du champ
et du connaisseur du champ."
(XIII, 12-26)
"Les êtres qui ont une forme, ô fils de Kuntî,
en quelque matrice qu'ils se produisent,
le grand Brahman est leur matrice commune."
(XIV, 4)
"Tout l'univers que voila, d'êtres mobiles ou immobiles,
est égaré par tous ces modes d'existence et ces comportements.
(VII, 15)
"Celui qui voit vraiment, voit le Souverain Seigneur
résidant également dans tous les êtres périssables
alors qu'il est, lui, impérissable.
Voyant le seigneur établi partout de la même manière, (...)
il atteint le but suprême.
Quand il vient à découvrir que la distinction entre les êtres se fonde sur l'unité et n'est qu'une simple expansion de celle-ci, alors il accède au Brahman."
(XIII, 27-30)
"L'homme qui, abandonnant tous ses désirs, va et vient, libre d'attachement, ne dit plus: "C'est à moi", ni "Je"; celui-là accède à la paix."
(II, 39)
"C'est par l'attachement à l'acte que les ignorants agissent. Le sage doit agir tout pareillement, mais sans attachement, ne visant que l'intégrité de l'univers."
(III, 25)
"Celui dont toutes les entreprises sont affranchies du désir et d'attentes intéressées, c'est lui que les gens avisés noment un sage, lui dont l'agir est brulé par le feu de la connaissance.
Abandonnant tout attachement au fruit de l'acte (...), ne demandant et n'attendant rien, le Sage a beau agir, il n'est pas lié."
(III, 39-43)
"Celui dont le bonheur, la joie, la lumière, résident en lui-même et non plus en des choses extérieures, cet ascète accède à l'apaisement en Brahman."
(V,24)
"Satisfait de ce qu'il reçoit par hasard, ayant surmonté les couples des contraires, exempt d'égoisme, toujours le même dans le succès comme dans l'insuccès, il a beau agir, il n'est pas lié."
(IV, 22)
"L'ascète en qui tout mal a disparu, qui se discipline et s'unifie lui-même sans cesse, atteint aisément le bonheur infini: se confondre en Brahman."
(VI, 28)
Le coeur libre d'attachements extérieurs, ce qui est son vrai bonheur, il le trouve en son intérieur. L'âme unifiée dans l'union au Brahman, il jouit d'un bonheur impérissable."
(V, 24)